Au Togo, une femme nommée à la primature, une première depuis l’indépendance

Faure Gnassingbé a nommé au poste de Premier ministre Victoire Sidémèho Tomegah-Dogbé, première femme de l’histoire togolaise à occuper ce poste. Son prédécesseur avait démissionné quelques jours plus tôt après plus de cinq années de service. Simple changement d’équipe, sept mois après sa réélection pour un quatrième mandat? Décryptage.

C’est sur une fidèle parmi les fidèles que le choix de Faure Gnassingbé s’est porté pour prendre en charge la coordination de l’action gouvernementale togolaise. Au passage, il marque l’histoire de ce petit pays d’Afrique de l’Ouest avec un fait politique inédit: pour la première fois, c’est une femme qui se voit confier cette charge. Le chef de l’État a nommé par décret, pris le 28 septembre 2020, Victoire Sidémèho Tomegah-Dogbé au poste de Premier ministre. Jusque-là, elle était sa directrice de cabinet.

Cette nomination, qui intervient sept mois après la réélection de Faure Gnassingbé, toujours contestée par ses adversaires politiques, pour un quatrième mandat de cinq ans à la tête du pays, fait suite à la démission le 25 septembre, trois jours plus tôt, de l’ex-Premier ministre Komi Sélom Klassou. Ce dernier a dirigé la primature au Togo depuis 2015, soit toute la durée du précédent mandat présidentiel, et aura été le seul chef du gouvernement à avoir gardé ce poste aussi  longtemps.

Prenant fonction quelques heures plus tard, Victoire Sidémèho Tomegah-Dogbé s’est engagée à «poursuivre l’action gouvernementale du Président de la République et à relever le défi de la prospérité et de la croissance partagée au profit des populations togolaises» par le dialogue et la concertation.

Changement tactique, stratégique ou politique?

Selon Foli Dométo Foly, chef du département des Sciences juridiques et politiques de l’Université catholique de l’Afrique de l’Ouest en Guinée-Conakry, contacté par Sputnik, la nomination de Victoire Sidémèho Tomegah-Dogbé à la primature peut s’analyser de trois façons.

Tout d’abord, il considère que c’est par respect pour le «gentlemen agreement» existant en politique togolaise qui exige que «le chef de l’État étant du nord, le chef du gouvernement soit du sud».

«Et autour du Président Faure Gnassingbé actuellement, son ex-directrice de cabinet, qui cumulait en plus le super ministère stratégique du Développement à la base, de l’Artisanat et de la Jeunesse –symbole de toutes les actions sociales engagées dans le pays depuis 2008– est ce seul choix du sud qui était probable», a déclaré Foli Dométo Foly.

C’est aussi le signal politique d’un nouveau mandat qu’il veut sous le signe du développement et d’autres réalisations. Pour le politologue, il est permis d’y voir un geste envers la parité, surtout affirme-t-il, que l’un des points essentiels au cœur de la campagne électorale du Président Gnassingbé était, au-delà du social, «le bien-être de la femme togolaise».

D’ailleurs, une autre nomination féminine à un poste élevé a été validée ce jour-là. Sandra Johnson, son ex-ministre déléguée en charge de l’Amélioration du climat des affaires, a été promue à la fonction de secrétaire générale de la présidence de la République.

Ce changement d’équipe gouvernementale obéit également, ajoute le spécialiste politique togolais, à d’autres considérations. Il s’agissait pour le Président, au lendemain de sa réélection, de se conformer au sein même de son parti à une règle politique qui lui demande de «procéder à une redistribution des rôles ou des cartes en fonction de l’ancrage du parti dans l’ensemble du pays, et selon l’adhésion obtenue des populations à sa politique par zone géographique à la présidentielle du 22 février 2020». En d’autres termes, la nouvelle équipe gouvernementale devrait lui permettre de récompenser les plus méritants, ceux qui avaient le plus contribué à sa réélection, encore que celle-ci n’ait guère fait l’objet de doutes sérieux.

«Techniquement, l’ex-Premier ministre Komi Sélom Klassou et son gouvernement devaient démissionner après avoir duré tant à ce poste pour donner de nouvelles perspectives politiques à tout ceux qui ont fait réélire le Président. Cela lui permet de donner de nouveaux signaux de sa vision du pays» a conclu Foli Dométo Foly.

Sur les réseaux sociaux, on assiste à un déchaînement de félicitations au nouveau Premier ministre du Togo.

Cependant, dans les rangs de l’opposition, il s’agit un «épi-événement».

«Ce qui nous intéresse, c’est le changement de gouvernance, pas le changement de personne. Faure Essozimna Gnassingbé a déjà eu plusieurs Premiers ministres, cela n’a rien changé pour les Togolais. Pourquoi cela changerait cette fois-ci?», s’est interrogé Gnimdewa Atakpama, délégué national aux Affaires intérieures au sein du Parti des Togolais, au micro de Sputnik.

Pour Gérard Adjah, vice-président du MPDD, Mouvement patriotique pour la démocratie et le développement, qui revendique toujours la victoire de son candidat, l’ex-Premier ministre Kodjo Agbéyomé, à la présidentielle de février 2020, «Faure Gnassingbe n’a pas le droit de nommer un Premier ministre car il n’a pas gagné l’élection du 22 février 2020».

Et puis c’est «un non-événement» et «une plaisanterie de combinaisons de parents et amis» pour renforcer «la mauvaise gouvernance, le manque d’autorité et la volonté apparente de s’éterniser au pouvoir», selon lui.

«Faure Gnassingbé n’a aucune vision réelle pour le développement et l’épanouissement social des Togolais. C’est pour cela que le peuple l’a sanctionné de façon sèche le 22 février 2020 mais il continue de croire qu’il peut se maintenir par la force comme d’habitude. On verra jusqu’à quand», a encore dénoncé Gérard Adja.

Par Alphonse Logo © REUTERS / Victor