Cameroun: après l’échec de ses «marches pacifiques», place aux représailles contre Kamto?

Après les marches étouffées du 22 septembre dernier au Cameroun, la menace d’une arrestation de Maurice Kamto et d’une interdiction de son parti fait débat dans le pays. Des intentions annoncées de Yaoundé alors que l’opposant est toujours retenu captif à son domicile. Une situation qui divise l’opinion, perplexe sur les valeurs de liberté.

Le pouvoir de Yaoundé va-t-il suspendre ou interdire le Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), parti de Maurice Kamto, farouche opposant du Président Paul Biya? La question est au centre de l’actualité au Cameroun au lendemain des manifestations interdites du 22 septembre dernier.

Ces hypothèses transparaissent dans un communiqué de René Emmanuel Sadi, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, publié le 25 septembre, trois jours après les manifestations organisées par le parti de Maurice Kamto. Il se réjouit de «l’échec cuisant» de cette mobilisation qu’il qualifie de «mouvement insurrectionnel».

«Certains organisateurs de cette aventure insurrectionnelle répondront de leurs actes devant la justice. La situation du leader du MRC fait l’objet d’un examen attentif par les instances judiciaires compétentes […] tout comme celles du parti MRC […] par le Ministère de l’Administration territoriale», précise-t-il.

Péril sur la démocratie (titubante)?

Des propos qui laissent planer la menace d’une imminente arrestation du leader du MRC, dont le domicile à Yaoundé demeure encerclé par les forces de l’ordre depuis lundi 21, soit la veille des marches interdites. D’ailleurs, l’hypothèse d’une dissolution ou d’une suspension des activités de son parti est de plus en plus évoquée. D’après le porte-parole du gouvernement, il est reproché à cette formation politique de s’illustrer «négativement depuis plusieurs années par des activités attentatoires à la paix si chère aux Camerounais».

Des menaces annoncées qui, si elles venaient à être mises en exécution, consacreraient, selon Hippolyte Éric Djounguep, analyste politique, «le retour à la pensée unique dans une société plurielle. Dissoudre ou interdire le MRC mettrait à mal le chantier démocratique camerounais qui peine à s’ériger jusqu’ici».

«Une telle décision mettrait à mal la cohésion sociale au Cameroun et ouvrirait inéluctablement le front d’une autre crise. Interdire un parti politique, c’est porter atteinte à la démocratie si chère aux nations modernes et aux peuples civilisés, c’est compromettre les libertés fondamentales […] C’est sortir le Cameroun de l’évolution du monde et du champ politico-économique international», commente-t-il au micro de Sputnik.

Seulement, il ne faudrait pas aller plus vite que la musique. Car même si cette hypothèse reste encore floue, dissoudre le MRC ou arrêter son leader reviendrait, nuance Yvan Issekin, politologue camerounais, à faire rentrer le parti dans la clandestinité. «Une arrestation de Maurice Kamto aura tendance à lui fabriquer une réputation de martyre. Or, l’intérêt du pouvoir serait plus dans la contention du MRC pour jouer sur les dynamiques du marché politique interne en favorisant les courants dissidents au sein du parti», suggère-t-il.

Péril sur les libertés?

La situation sociopolitique s’est de nouveau enlisée dans le pays depuis que le MRC et les partis alliés ont bravé l’interdiction des autorités administratives de manifester le 22 septembre dernier. Le principal opposant au pouvoir du Président Paul Biya avait menacé d’appeler au soulèvement populaire si Yaoundé persistait à organiser de nouvelles élections avant d’avoir résolu la crise séparatiste et procédé à une réforme consensuelle du code électoral.

Malgré cette interdiction et la forte militarisation des principales villes du pays, quelques manifestants ont battu le pavé et des échauffourées ont été enregistrées à Douala, la capitale économique. Toutefois, dans leur ensemble, les marches n’ont pas mobilisé grand monde. Une situation que les leaders du MRC imputent à l’impressionnant dispositif de sécurité qui s’était déployé des jours auparavant. Selon le collectif des avocats du parti d’opposition, plus de 600 personnes ont été arrêtées et sont toujours en garde à vue. Dans un communiqué du vendredi 25 septembre, le Réseau des défenseurs des droits humains en Afrique centrale (Redhac) avance pour sa part le chiffre de plus de 400 interpellations.

Si aucune donnée officielle n’a été publiée par les autorités pour le moment, le gouvernement déclare qu’«un certain nombre d’arrestations a été effectué». Parmi les personnes interpellées, des cadres du parti dont Alain Fogué, le trésorier, et Bibou Nissack, porte-parole, toujours en garde à vue dans les locaux du secrétariat d’État à la Défense à Yaoundé.

Alors que le MRC dénonce «une situation d’une extrême gravité», parlant de «chasse à l’homme» et demandant «la libération immédiate des personnes arrêtées», le gouvernement indique que les individus dont les responsabilités ont été jugées infimes ont été relâchés et que d’autres le seront aussi au fur et à mesure de l’évolution des enquêtes. En revanche, poursuit-il, les donneurs d’ordres et les meneurs des marches répondront de leurs actes devant la justice.

Si, pour les opposants au pouvoir de Yaoundé, les manifestations sont garanties par la Constitution du pays, côté gouvernement, on a interdit ces marches, les assimilant à une «insurrection». Alors que la tension reste vive, Maurice Kamto annonce une mobilisation similaire dans les prochains jours. Une situation qui vient se greffer à un contexte politique déjà tendu dans un pays déchiré par de multiples crises dont la plus meurtrière demeure le conflit séparatiste dans sa partie anglophone. Dans le même temps, au sommet de l’État, la bataille est ouverte pour la succession de Paul Biya, 87 ans dont 38 passés au pouvoir.

Par Anicet Simo © AFP 2020 STEPHANE DE SAKUTIN