Comment les Libyens évaluent-ils le renversement de Kadhafi dix ans plus tard?

Il y a dix ans, le 15 février 2011, des manifestations antigouvernementales accompagnées de troubles éclataient en Libye. Soutenues par les pays de l’Otan, elles ont conduit à la chute du régime de Mouammar Kadhafi.

La société libyenne est divisée quant à l’évaluation de ces événements: certains y voient une conspiration internationale dont l’objectif était de redistribuer des sphères d’influence dans la région, d’autres une révolution qui a réussi, quand d’autres encore préfèrent évaluer ces événements en fonction de leurs conséquences actuelles. Des experts ont fait part à Sputnik de ces différentes opinions et évaluations.

Conspiration contre la Libye et les Libyens

Naser Said, porte-parole du Mouvement populaire national libyen, note qu’il y a dix ans, les Libyens étaient trompés et dépossédés de leur État.

«Il y a dix ans, les ennemis de la Libye, à la fois internes et externes, ont trompé les Libyens en les faisant descendre dans la rue, en organisant une « révolution », en y impliquant les médias pour ce faire. En conséquence, nous avons été dépossédés de notre propre pays: nous avons eu une intervention militaire flagrante de l’Otan pendant huit mois. C’était la plus grande et la plus longue opération militaire de l’Alliance en dehors de ses frontières après la Seconde Guerre mondiale. Et maintenant, nous n’avons ni État ni infrastructure. Des centaines de milliers de familles libyennes ont été forcées de quitter leurs maisons, et leurs villes et villages ont été détruits. Des milliers de Libyens ont été froidement tués», estime-t-il.

Selon lui, au cours des dix dernières années, la Libye est devenue un repaire des terroristes et un lieu pour les activités des services de renseignement étrangers. Et on ne sait pas quand cela prendra fin.

Concernant la façon dont la Libye a reculé dans son développement historique, le politicien ajoute:

«Ces événements qui ont fait reculer la situation à l’intérieur du pays à ce qu’elle était dans les années 1950: nous n’avons plus d’électricité, ni de médicament ni d’argent».

Pour Naser Said, le mois de février 2011 constitue le «temps noir» de l’histoire du peuple libyen, qui doit maintenant arracher son indépendance aux États étrangers et aux terroristes.

Une révolution réussie

À son tour, Adel Karmous, membre du Haut Conseil d’État de Libye, souligne que le renversement du régime de Kadhafi en février 2011 a été le point de départ pour l’histoire de la nouvelle Libye.

«La révolution a certainement atteint ses objectifs: le régime, qui n’a fait que nuire aux Libyens du fait de son caractère tyrannique et de l’oppression pendant plus de 40 ans, a finalement été renversé. Il y a dix ans, s’est donc produite une véritable révolution du peuple libyen contre l’autoritarisme. Cela ne devrait même pas être remis en question. D’autant plus qu’elle n’a pas été organisée par une partie tierce: les manifestations étaient spontanées», expose-t-il.

Selon le parlementaire, les problèmes auxquels le pays a dû faire face après le renversement de Kadhafi étaient le résultat de l’absence d’un leader pour les gérer.

Évoquant la situation actuelle, il ajoute:

«Les résultats du dialogue, tout comme la situation actuelle, satisfont la majorité de la société libyenne. Il faut comprendre qu’un règlement politique n’a coupé la voie vers la militarisation du système politique qu’avec l’élection d’un gouvernement provisoire. La nouvelle Libye n’est qu’à ses débuts.»

«La pire période de l’histoire»

Toutefois, peu nombreux sont ceux qui nieraient que les dix dernières années ont constitué un tournant dans l’histoire de la Libye. L’écrivain libyen Hussein Miftah qualifie les dix dernières années de pires années pour les Libyens depuis que le pays a accédé à l’indépendance.

«Le fait est que la Libye n’est indépendante que depuis 60 ans. Pendant 40 ans, elle a vécu sous le règne de Mouammar Kadhafi. La dernière décennie s’est avérée bien pire que la période où l’indépendance de la Libye venait juste de s’établir. Parce que le chaos actuel est vraiment sans précédent», avance-t-il.

À la question de savoir pourquoi cela s’est produit, l’expert répond:

«Il n’y a pas eu de révolution. Le chaos dans lequel nous vivons aujourd’hui n’est qu’une conséquence du partage de la région par des acteurs extérieurs. On le voit bien, si on regarde quelles forces sont présentes sur notre territoire et quels sont leurs objectifs».

Selon lui, la seule force en Libye à qui la situation actuelle profite, ce sont les islamistes.

«Des branches des Frères musulmans* contrôlent une partie du territoire libyen. Bien sûr, auparavant ils ne pouvaient même pas en rêver. Désormais, leurs activités sont couvertes par la Turquie, qui leur envoie de l’argent ou des armes. Ils coopèrent également avec d’autres mouvements extrémistes de l’islam politique en Afrique du Nord. Ils ont donc connu ici un réel épanouissement», conclut Hussein Miftah.

Jusqu’ici, les Libyens n’ont pu faire que le premier pas pour mettre fin au chaos qui règne dans leur pays en élisant un gouvernement provisoire qui préparera le pays aux élections en décembre.

*Organisation terroriste interdite en Russie

© Sputnik . Mikhail Klimentiev