Cuba, Fidel et le monde (Analyse)

Le 19 Février 2008, Fidel Castro quitta la présidence du Conseil d´Etat, après cinq décennies au pouvoir à Cuba. Déifié par les uns, diabolisé par les autres, qui était réellement le « Lider Maximo » ?

Il y a quatorze ans, le 19 Février 2008, Fidel Castro quitta la présidence du Conseil d´Etat, après cinq décennies au pouvoir à Cuba. Son frère Raul lui succéda.

Cuba, État avec un parti unique depuis 1959, a survécu à la chute de l´URSS en 1991, alors que les régimes communistes se sont effondrés à travers le monde- Fidel Castro, grand ennemi des États-Unis, a su manœuvrer.

Fidel Castro a toujours divisé. Ses partisans, cubains ou étrangers, l’ont encensé comme un leader tiers-mondiste qui a défié la première puissance mondiale près de ses côtes et qui a mis en place un système sanitaire et social généreux, malgré un embargo économique et commercial. Ses détracteurs retiennent de lui ses atteintes aux droits de l´Homme et sa rigidité idéologique qui aurait détruit l’économie cubaine. Dès sa prise de pouvoir, accompagné des “barbudos”, Fidel Castro fascine autant les intellectuels que les révolutionnaires et les journalistes. En 1959, il devient Premier ministre, quelques mois avant de fêter ses 33 ans.

En 1953, après sa tentative ratée de prise de pouvoir, il est arrêté et incarcéré. Lors de sa fameuse plaidoirie intitulée « L’Histoire m’absoudra », il se révèle être un avocat à la rhétorique puissante et à l’argumentation solide. Des qualités oratoires acquises lors de sa scolarité chez les jésuites et durant ses études de droit. Elles lui serviront toute sa vie politique afin de convaincre les Cubains du bien fondé de ses choix, mais également l´opinion publique internationale.

L’ONU devint ainsi une formidable tribune pour Fidel Castro. En 1960, il y prononce le discours le plus long de l´histoire de l´institution. En pleine Guerre froide, et au-delà du clivage Est-Ouest, il voulait symboliser une forme de dialogue Sud-Sud. Dans les années 1960-1970, il encouragea une politique étrangère ambitieuse en Amérique latine et en Afrique.

D’ailleurs, si le Président Kennedy proposa à l’Organisation des États américains (OEA), en 1961, un programme d’aide économique, l’Alliance pour le Progrès, et s´il a obtenu en 1962 l’exclusion de Cuba de cette organisation, c´est parce que Washington redoutait une “contagion” communiste en Amérique latine. Toutes les relations commerciales, diplomatiques et aériennes entre l’île et les autres pays du continent sont rompues (sauf avec le Mexique et le Canada). Une révolution castriste pourtant nationaliste au départ. Les Etats-Unis voient d’un mauvais œil la nationalisation de nombreuses entreprises étrangères implantées sur l´île, ainsi que la réforme agraire. En 1961, des bombardiers américains (peints aux couleurs de l’armée cubaine) tirent sur l’aviation castriste. Puis, 1500 exilés pro-Batista, entraînés par la CIA, débarquent sur la Playa Giron, proche de la “baie des cochons”. L’échec est total pour Kennedy. Fidel Castro fait prisonniers plus d’un millier de Batistiens et négocie leur libération contre deux millions de dollars en espèces et une cargaison de médicaments et produits alimentaires. Il gagne bien évidemment en popularité et proclame, pour la première fois, le caractère “socialiste” de la révolution.

Malgré tout, sa relation avec les Soviétiques n´a pas été aussi simple qu´il y paraissait. L´historien chilien Rafael Pedemonte l´explique très bien : “L’avènement de la crise des missiles en octobre 1962 et le retrait des armements soviétiques déclenchèrent la colère de Castro. Son exaspération s’accentua lors de son séjour à Moscou au début de l’année 1963, quand il se rendit compte de l’existence d’une entente secrète avec Washington portant sur le démantèlement des missiles américains installés en Turquie. Cela semblait confirmer les soupçons selon lesquels la protection de l’île n’était qu’un prétexte des autorités du Kremlin qui aspiraient avant tout à consolider leur position internationale.”

Leila Latrèche, docteure en Géopolitique et spécialiste de la politique étrangère cubaine, analyse parfaitement la difficulté pour Castro d’exister sur le plan international : « En octobre 1962 se joue une crise majeure dans le monde bipolaire de la Guerre froide. Pour la première et la seule fois les États-Unis et l’URSS sont au bord de la guerre nucléaire. Cuba qui a accepté les missiles devient l’enjeu d’une négociation féroce dans laquelle le blocus puis la menace d’attaque de l’Amérique sera le bâton ; le retrait des missiles américains de Turquie, la carotte ».

Jean Emmanuel Pondi, ancien directeur de l’institut des relations Internationales du Cameroun, évoque « des rapports de principes et idéologiques » que Fidel Castro entretenait avec certains dirigeants africains. Il « soutenait toutes les oppositions qui étaient seules par rapport aux pays capitalistes ou les pays qu’il considérait comme bourgeois et par conséquent, il n’était pas l’ami de ce camp-là », rappelle l´universitaire. Le « Lider Maximo » a cherché à être influent en Afrique, surtout au Mozambique et en Angola, où il avait envoyé des milliers d´hommes afin de défendre sa vision du monde.

Dans les années 1990, l’île souffre économiquement de la fin de l’aide soviétique et Castro accentue la répression interne. Ce qui lui permet de garder son aura internationale et le soutien logistique en personnel médical à de nombreux pays africains et latino-américains tout comme la reconnaissance et l´hommage de Nelson Mandela à sa libération, pour le soutien indéfectible du leader cubain. Après avoir laissé les clés du pouvoir à son frère en 2008, Fidel Castro décède en 2016 à 90 ans.

Fatma Bendhaou/ AA/ Mohamed Badine El Yattioui