Élection présidentielle : Le choix cornélien des musulmans de France*

La campagne électorale s’achève vendredi à minuit et les quelques 48,7 millions d’électeurs français auront à désigner dimanche leur nouveau président de la République.

La campagne électorale s’achève vendredi à minuit et les quelques 48,7 millions d’électeurs français auront à désigner dimanche leur nouveau président de la République.

Entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron, les sondages sont clairs, c’est le Président sortant qui devrait l’emporter avec près de 56% des suffrages exprimés.

Mais chez les Français de confession musulmane, le choix semble cornélien. Échaudés et marqués par le mandat qui vient de s’écouler, aucun des deux candidats ne semble faire consensus.

La loi contre le séparatisme, les dissolutions d’associations de lutte contre l’islamophobie, ou encore les fermetures de mosquées ont profondément entaché l’opinion que certains avaient de Macron, au point qu’ils refusent d’entendre parler de « barrage républicain » contre Marine Le Pen.

Si le débat de mercredi soir, a permis à Emmanuel Macron de se positionner fermement contre l’interdiction du foulard, en mettant en garde son adversaire contre les risques d’une « guerre civile » en cas de mise en place d’une telle mesure, il n’a que très peu convaincu.

– La tentation du vote Le Pen pour « renverser la table »

Les musulmans le savent, et elle a été très claire sur le sujet, Marine Le Pen veut interdire le port du voile dans l’espace public, et prévoit de fermer plus de 500 mosquées qu’elle considère comme « radicales » en cas d’accession au pouvoir.

Mais en dépit du danger, ils sont aujourd’hui nombreux à mettre sur la table l’option d’un bulletin de vote en faveur de la candidate d’extrême-droite.

« Macron nous a trahi, il est hors de question que je le soutienne », nous explique Nabil, salarié d’un cabinet de conseil en région parisienne.

Il explique vouloir « renverser la table » pour « sanctionner la politique menée par Emmanuel Macron que beaucoup de personnes issues de l’immigration et de musulmans ont soutenu en 2017, pour qu’il finisse par les punir pendant son mandat ».

Ce discours, qui se faisait plutôt rare lors des précédents scrutins, tant le vote d’extrême-droite était impensable, inquiète de plus en plus au sein de la communauté.

« C’est quelque chose que j’entends beaucoup ces derniers jours, même si j’essaie de déconstruire les arguments », assure quant à lui Mohamed, imam dans une mosquée des Bouches-du-Rhône.

Le responsable de culte reconnaît néanmoins que « les mesures mises en place par Macron depuis ces dernières années ont créé une véritable défiance vis à vis de sa politique » et espère que « les fidèles reviendront à la raison et se retiendront de faire un choix dramatique ».

– Le vote blanc en toile de fond

Pour ceux qui se refusent à la tentation de l’extrême comme vote de contestation, tout en rejetant le candidat Macron, le vote blanc pourrait être un compromis.

« On a été piétinés durant ces cinq dernières années et c’est ce qui fait que je ne peux pas voter pour Emmanuel Macron », martèle Ikrame.

Cette trentenaire, diplômée de sciences politiques et associative engagée, ne peut « évidemment pas voter Le Pen » mais se « refuse à valider Macron ».

Elle considère que « mettre un bulletin Macron dans l’isoloir, c’est cautionner ce qu’il a fait pendant cinq ans ».

La jeune femme rappelle que « malgré sa position sur le hijab, qu’il ne veut pas interdire contrairement à Marine Le Pen, son parti s’est illustré en rejetant le port du voile dans les compétitions sportives et sur les affiches électorales par exemple ».

Hassan, chef d’entreprise et enseignant en école de commerce optera lui aussi pour le vote blanc.

« Quand je regarde le programme, il n’y a pas une seule mesure qui me séduise », tranche-t-il, précisant que concernant la politique d’Emmanuel Macron vis à vis des musulmans, « il s’agit du pire président » que la France ait connue « dépassant même Nicolas Sarkozy ».

Mais il estime en revanche que l’orientation réelle du mandat à venir « dépendra des élections législatives où il faut absolument que les musulmans se mobilisent ».

– La stratégie du moindre mal

Ils sont néanmoins nombreux à se positionner, notamment sur les réseaux sociaux, en faveur du Président sortant.

« Je vais aller voter Macron en me bouchant le nez », grince Adil, chef d’entreprise dans le numérique.

Installé en région parisienne, il « ne veut pas soutenir Macron » mais ne « peut pas oublier que Le Pen, c’est la candidate d’un parti historiquement raciste ».

« Il faut se souvenir qu’en 1995, Ibrahim Ali, un jeune d’origine comorienne a été tue à Marseille par des colleurs d’affiches du Front National », pointe le jeune père de famille qui ne veut pas « qu’on zappe l’ADN de Marine Le Pen » même s’il comprend que « certains soient dégoûtés de Macron ».

La Grande Mosquée de Paris, réputée proche du pouvoir, a de son côté complètement assumé son soutien à Emmanuel Macron en allant jusqu’à organiser mardi soir, un Iftar de Ramadan pour le soutenir.

Si cette initiative a fait grincer des dents, il apparaît que de plus en plus de responsables religieux musulmans, ont décidé, de sortir du bois en affichant leurs opinions politiques, chose qui était très mal perçue il y a encore quelques années.

Les musulmans se retrouvent manifestement entre « le marteau Macron et l’enclume Le Pen » comme le titrait mardi le journal en ligne Mediapart et feront leurs choix, comme le reste des électeurs français, en leur âme et conscience, seuls dans l’isoloir.

Feïza Ben Mohamed / Paris / Ekip