«En confiant à Reagan un dossier top secret, François Mitterrand manifestait son positionnement atlantiste»

Comment l’ancien Président français François Mitterrand, qui est arrivé au pouvoir il y a 40 ans, a-t-il marqué l’histoire? Son impact est-il toujours visible aujourd’hui? Analyse de Jean-Marie Bockel, sénateur, ancien ministre et secrétaire d’État, au micro de Rachel Marsden.

Ce mois marque le 40e anniversaire de l’arrivée de François Mitterrand à l’Élysée. Comment ce chef d’État, qualifié de gauche, a-t-il changé le visage de la politique étrangère française et celui du monde au cours de ses 14 années de mandat, de mai 1981 à mai 1995?

Au moment où il a pris ses fonctions en mai 1981, les grands alliés occidentaux de la France viraient à droite, en pleine guerre froide. Les États-Unis venaient d’élire le Président Républicain Ronald Reagan. Margaret Thatcher, Premier ministre Conservateur, était à la tête du Royaume-Uni. Et le Canada était dirigé alors par le Premier ministre de droite libérale Brian Mulroney. Ils étaient tous connus pour leur conservatisme inconditionnel et Mitterrand les inquiétait sur le plan idéologique. 

Pourtant, lors de la réunion du G7 à Ottawa, au Canada, l’année même où Mitterrand et Reagan entraient en fonction, le Président socialiste confiait à son homologue américain un dossier de renseignement top secret. C’était le début de l’«affaire Farewell». 

Un colonel du KGB, Vladimir Vetrov –dont le nom de code était «Farewell»– avait remis aux services de renseignement français un dossier sur les activités de la direction technique du KGB. Il contenait 4.000 documents secrets et l’identité de 250 agents du renseignement technique sous couverture diplomatique dans le monde.

Pourquoi Mitterrand a-t-il fait ce cadeau à Reagan? Quel a été l’impact de cet acte –et d’autres– sur l’histoire mondiale? Jean-Marie Bockel, ancien sénateur, ministre et auteur du livre Trajectoire plurielle: ministre de Mitterrand et Sarkozy (Éditions Alpharès), revient sur l’affaire Farewell:

«En rendant ce service à Reagan, le Président Mitterrand faisait la démonstration du camp dans lequel il se situait. Mitterrand a toujours été considéré comme un atlantiste et on a pu le voir en 1982, avec la polémique sur les fusées Pershing installées à la frontière allemande et sa déclaration qui sous-entendait qu’il fallait choisir son camp. Dans un contexte où il y avait quatre communistes au sein du gouvernement français –qui inquiétaient beaucoup de chefs de gouvernement de l’époque–, ce geste a tout de suite positionné les choses et ça a été un moment important.»

Alors que le monde était idéologiquement polarisé entre communisme et capitalisme à l’époque de la guerre froide, Jean-Marie Bockel explique que François Mitterrand était dans une autre logique:

«Son style était totalement pragmatique. Il n’était pas du tout idéologiste. Quand on connaît son parcours, on le voit bien. On sait qu’il vient de l’extrême droite d’avant-guerre, que pendant la guerre, il s’est évadé et a rejoint le régime de Vichy parce qu’il pensait que c’était là que ça se passait et que c’était à l’intérieur de ce régime qu’il pouvait faire bouger les choses. Ensuite, en 1943, il bascule dans la Résistance, il a soutenu le General De Gaulle. On voit donc bien là une démarche extrêmement pragmatique.»

François Mitterrand avait affirmé que l’Europe n’avait aucun intérêt à être éclatée «en mille morceaux». Or, sur la Yougoslavie, Mitterrand semblait aller à contre-sens de ses déclarations sur ce sujet:

«Il y a eu un moment où il pouvait avoir l’espérance que l’ensemble [ndlr, de la Yougoslavie] tienne. Je pense que Mitterrand fait partie de cette génération d’hommes politiques qui considéraient qu’il était toujours préférable d’éviter le chaos. Malheureusement, cela n’a pas marché», regrette l’ancien ministre.

Par Rachel Marsden © CC BY-SA 2.0 / Philippe Roos / Strasbourg-1979-05-06