En position de force, Boris Johnson pave la voie d’un Brexit difficile

Après une année de paralysie politique et de frustration, Britanniques et Européens terminent 2019 avec le sentiment d’avoir tourné une page. Fort d’une majorité de 80 sièges, Boris Johnson fera sortir le Royaume-Uni de l’UE d’ici la fin janvier.

En 2020, les discussions se concentreront sur les relations commerciales post-Brexit, dans le cadre d’un calendrier serré et avec la menace de parvenir à la fin de l’année sans avoir conclu d’accord. Certaines choses ne changent guère.

Les pleins pouvoirs de Boris Johnson

La majorité de 80 sièges que détient Boris Johnson à la Chambre des communes lui donne un contrôle absolu sur les négociations commerciales post-Brexit, qui devraient commencer véritablement en février.

Boris Johnson n’aura pas à affronter autant d’obstacles que Theresa May, la précédente Première ministre. Il dispose d’une large majorité, et le projet de loi sur l’accord de retrait prive les parlementaires britanniques de quasiment tout contrôle sur les négociations commerciales post-Brexit.

Boris Johnson n’a pas besoin de leur appui, ni même de leur donner des informations à propos son mandat de négociation. Ils n’auront pas non plus droit à un vote « significatif » sur le résultat des pourparlers.

Le projet de loi sur l’accord de retrait, qui a fait l’objet d’une deuxième lecture à la Chambre des Communes juste avant Noël, sera soumis au Parlement à la mi-janvier. Le Royaume-Uni sortira alors enfin de l’Union, mais une période de transition de onze mois, pendant laquelle le Royaume-Uni continuera à faire partie du marché unique, commencera immédiatement.

Une fois le Brexit arrivé à son terme, du moins officiellement, le Premier ministre entend retirer le mot « Brexit » du vocabulaire du gouvernement. Le département pour la sortie de l’Union européenne sera supprimé à la fin du mois de janvier. Boris Johnson a l’intention de le remplacer par une équipe de négociation – appelée « Taskforce Europe » – qui sera responsable des négociations sur les relations futures avec l’UE, sous la direction de son conseiller David Frost.

Pour l’heure, le canevas de l’accord commercial de Boris Johnson est encore très flou, bien qu’il ait parlé de fonder les futures relations entre l’UE et le Royaume-Uni sur le modèle de l’Accord économique et commercial global (CETA) existant entre l’UE et le Canada.

Le manifeste des conservateurs et les déclarations de Boris Johnson, selon lesquelles il souhaite que le Royaume-Uni s’écarte de la réglementation de l’UE, laissent présager une relation beaucoup moins étroite avec l’UE que celle envisagée dans la déclaration politique négociée par Theresa May. Celle-ci évoquait un fondement sur les arrangements douaniers et laissait entrevoir la perspective d’un important alignement réglementaire sur les marchandises.

Alors que le gouvernement de Theresa May envisageait de participer à divers programmes de l’UE, le manifeste électoral des conservateurs ne mentionne que la collaboration scientifique internationale avec l’Union. En 2020, le gouvernement britannique mettra probablement en place une série de nouvelles agences de régulation pour remplacer les agences existantes de l’UE, indiquant ainsi clairement la direction qu’il compte prendre.

Les négociations se terminent, d’autres commencent

Les deux parties assurent qu’elles agiront dans l’urgence. La Commission européenne a promis de remettre aux États membres un mandat de négociation pour les relations commerciales post-Brexit le 1er février.

Négocier et ratifier en onze mois et dans 27 États membres un ambitieux partenariat commercial et politique, comparable au CETA, apparaît comme un objectif extrêmement optimiste.

Une prolongation du délai devrait être convenue par l’UE et le Royaume-Uni avant juillet 2020. Cependant, en amendant l’accord de retrait avec l’inscription dans la loi de la date limite de décembre 2020, cette option a été écartée par Boris Johnson. Rien ne l’empêchera de changer d’avis par la suite, cependant.

Cette date butoir a fait réapparaître le spectre d’un Brexit « sans accord ».

Lors de la dernière session plénière du Parlement européen de 2019, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a averti qu’un calendrier aussi serré constituait une  « difficulté extrême », ajoutant que « dans le cas où nous ne pourrions pas parvenir à un accord d’ici à la fin 2020, nous ferions à nouveau face à une situation des plus périlleuses ».

Selon certains rapports, c’est la Commission qui pourrait demander une prolongation de la période de transition, afin d’éviter un scénario sans accord.

Un accord réduit à l’essentiel

Avec leur représentant installé au 10 Downing Street, les partisans d’un Brexit dur sont bien entendu très actifs.

Le chef du Parti du Brexit, Nigel Farage, dont la formation ne s’est pas opposée aux députés conservateurs lors du scrutin de décembre, estime que son camp a potentiellement et « pour la première fois (…) le dessus dans ces négociations ». Il dit cependant savoir  qu’il n’obtiendra pas « tout ce qu’[il] veu[t]. Ce n’est tout simplement pas possible, il y aura toutes sortes de compromis ».

Nigel Farage estime la probabilité d’un Brexit sans accord à « 25 %, pas plus que ça ».

Mais tout le monde n’est pas persuadé que la domination de Boris Johnson à l’intérieur du pays se traduira par un plus grand pouvoir de négociation à Bruxelles.

« Si vous voulez être en position de force dans des négociations internationales, vous devez pouvoir plaider de manière crédible que vous êtes en situation de faiblesse chez vous », souligne Anand Menon, directeur du think tank universitaire « UK in a Changing Europe ».

« Si vous pouvez dire à votre adversaire que vous avez les mains liées parce que vous ne disposez pas d’une majorité suffisante, ou quoi que ce soit d’autre, alors il est possible qu’il se montre flexible avec vous. Mais si vous vous présentez avec une majorité significative, tout le monde sait que vous avez le contrôle et que vous êtes donc en mesure de faire des concessions », poursuit-il.

En effet, le calendrier et les promesses préélectorales de Boris Johnson, ainsi que les remarques sceptiques du négociateur en chef de la Commission, Michel Barnier, plaident en faveur d’un accord commercial « réduit à l’essentiel », couvrant uniquement les droits de douane et les quotas entre l’UE et le Royaume-Uni, et qui pourra être étoffé sur une période de plusieurs années.

L’économie du Brexit

La victoire électorale de Boris Johnson s’est construite sur la base d’une percée sans précédent des Tories dans le nord de l’Angleterre, qui constitue un bastion traditionnel du parti travailliste, mais où le soutien au Brexit est également fort.

Pour tenter de consolider ce nouveau soutien, le Premier ministre a promis des investissements massifs dans les infrastructures des Midlands et du Nord et a laissé entendre que de nombreux fonctionnaires et organismes gouvernementaux seraient transférés hors de Londres.

Mais cette frénésie de dépenses planifiée pourrait être menacée par les négociations sur le Brexit. L’économie britannique n’a progressé que de 1 % en 2019 et, selon la Banque d’Angleterre, elle est peut-être au bord d’une récession.

Selon le groupe de réflexion « UK in a Changing Europe », même si un nouvel accord de libre-échange avec l’UE est conclu en 2020, cela entraînera un déficit budgétaire annuel de 6 à 20 milliards de livres sterling. Un scénario sans accord, avec un règlement des échanges entre le Royaume-Uni et l’UE selon les conditions de l’Organisation mondiale du commerce après décembre 2020, ferait quant à lui grimper ce déficit jusqu’à 28 milliards de livres sterling, estime le think tank.

À court terme, Boris Johnson pourra continuer – et il ne s’en privera probablement pas – à rejeter la responsabilité de tout remous économique sur l’UE.

Mais après avoir récolté les fruits de la lassitude des Britannique à propos du Brexit, son gouvernement est sur le point d’entamer un voyage cahoteux  et des plus incertains. Sa domination est réelle mais fragile. Tout échec politique en 2020 pourrait causer des dommages à long terme et s’avérer potentiellement fatal à son Premier ministre.

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