Interview – la gestion du Covid19 au Maroc vue par Gilles Pargneaux

Dans le cadre de l’amitié Union Européenne – Maroc, Moadis Eurafrique, un bureau de relation internationale d’affaires basé au Maroc à Casablanca, nous a présenté, Gilles Pargneaux afin de répondre à nos questions sur la gestion admirable de la crise sanitaire du Covid-19 par Sa Majesté le Roi Mohammed VI.

Gilles Pargneaux naît le 24 mars 1957 à Harcigny, dans le département de l’Aisne en France. Il s’engage très tôt au sein du Parti Socialiste.

Il a été:

Maire d’Hellemmes, Premier Secrétaire de la fédération socialiste du Nord, membre du Bureau National du PS et conseiller spécial de Martine Aubry, il est élu député européen après avoir été tête de liste de la grande région Nord-Ouest (2009-2019). 

Au sein du Parlement européen, il est ainsi membre titulaire de la commission environnement, santé publique et sécurité alimentaire et membre suppléant de la commission transports et tourisme. Il s’investit tout particulièrement dans différents dossiers liés à la santé et à l’environnement.

Il fut également Président du Groupe d’Amitié Union Européenne – Maroc et est également vice-président de la délégation pour les relations avec les pays du Mashrek.

En octobre 2018, il annonce avoir adhéré à LREM, la République en Marche, un parti politique français lancé en avril 2016 par Emmanuel Macron.

Fares Boudidit: 

Le Maroc a décrété l’état d’urgence sanitaire le 20 mars 2020 et invité la population à limiter ses déplacements. Dans cette gestion de crise sanitaire, Sa majesté le Roi Mohammed VI a fait le choix d’une stratégie différente basée sur la vitesse de décision pour lutter contre cette pandémie. Il a pris des mesures de protection pour contenir la propagation de l’épidémie tels que la suspension des vols vers et au départ du Maroc, la suspension des liaisons maritimes avec l’Espagne et la France. La réactivité des autorités face à la crise a globalement été saluée dans le monde.

Que pouvez-vous dire à propos de ces mesures de protection? 

Gilles Pargneaux:

Votre question est très pertinente. Concernant les décisions qui ont été prises par Sa Majesté Mohammed VI, la semaine qui a précédé le 15 mars, soulève la rapidité de prise de décision et de mesures très fortes, entre autres, fermer immédiatement les frontières maritimes, première anticipation de sa part. Ensuite est venue la fermeture des frontières aériennes et ensuite le confinement avec une mobilisation de l’armée pour le faire respecter. 

Une autre décision avait été prise par Sa Majesté de se procurer au plus vite à l’usine Sanofi (fabrication médicaments) un stock de chloroquine. Cet anti-paludisme salvateur, selon divers experts et notamment le Professeur Raoult (Centre Hospitalier de Marseille). Le Ministre Amara qui avait contracté le COVID-19 a déclaré 6 jours après qu’il avait été traité avec ce traitement associé avec l’antibiothérapie. C’est assez remarquable qu’un décideur tel que l’a fait Mohammed VI, prenne des décisions aussi pertinentes, très réactives et proactives par anticipation et par rapport à d’autres leaders mondiaux y compris la Chine qui ont pris conscience plus lentement que ce qui se passait à Wuhan était une catastrophe. 

Or pour le continent africain, et j’ai examiné cela avec beaucoup d’attention, il n’y a pas eu d’autres personnalités politiques en dehors de Sa Majesté Mohammed VI qui a réagi avec une telle anticipation. Pourquoi? Il a rapidement compris que le matériel médical ainsi que les structures médicales ne pourraient contenir de très nombreux patients en réanimation. Cela démontre une lucidité qu’il faut saluer.

Fares Boudidit:

La crise démontre l’échec des théories néolibérales, qui reposaient sur l’idée que le marché et le secteur privé pouvaient tout assurer. Cela fait 40 ans que nous suivons les politiques d’austérité dictées par les institutions internationales. Face à cette pandémie du covid-19, nous voyons toute la fragilité du système. Il y aura des conséquences économiques néfastes suite au coronavirus. Le Maroc fait face aussi au virus et dans le même temps doit se préparer à un problème important qui est la sécheresse à venir.

Quelles seront d’après vous les conséquences politiques et économiques qui découleront de ces crises simultanées?

Gilles Pargneaux:

La réactivité des autorités marocaines face à la crise s’est démontrée encore, dans la distribution des masques, mais aussi dans la création d’un fonds spécial afin de pallier aux conséquences économiques, où beaucoup de sociétés et personnes fortunées du Maroc ont décidé de donner. On connaît la générosité du Maroc et de Sa Majesté mais là dans un tel événement imprévisible, il faut saluer le fait même d’avoir mis en place un fonds spécial en prévision de « l’après-crise » et des conséquences qu’elle va avoir sur l’économie marocaine. 

Sa Majesté le Roi Mohammed VI a opté pour des mesures visant à limiter l’impact économique de la pandémie :

La suspension du paiement des charges sociales, la mise en place d’un moratoire pour le remboursement des crédits bancaires, l’activation d’une ligne supplémentaire de crédit de fonctionnement, le report des échéances fiscales, des mesures en faveur des salariés avec des indemnités…

Ainsi, à la suite de cette pandémie qui frappe le Maroc, Sa Majesté, a décidé d’émettre un plan d’action social.

Je reviendrais sur la question du pourquoi en est-on arrivé là? Pourquoi ce virus?

Notre histoire mondiale montre que la présence de virus ponctue notre existence. Que ce soit la grippe saisonnière ou le SRAS, EBOLA, la grippe espagnole du début du 20ème siècle, la peste….Il est évident que le monde à venir sera un monde qui devra lutter contre des virus avec parfois des pandémies. Ce que l’on peut remarquer au niveau de la gouvernance mondiale, au niveau de la santé, c’est qu’il y a eu des failles. Il va donc falloir qu’on les analyse, qu’on puisse prendre des décisions pour éviter que ces failles ne continuent à perdurer et que l’on soit plus proactifs lorsqu’un autre virus se manifestera différent du COVID-19. 

Deuxièmement, on voit bien que cette propagation du virus est liée à notre mode de vie. Si nous n’avions pas d’échanges aussi nombreux entre nous, peut-être cela se serait-il cantonné à une province de Chine. Il faut donc avoir une réflexion sur la façon dont nous concevons notre développement et à notre façon de vivre.

Les politiques néo-libérales ou libérales menées en Europe où la pénurie de masques, de respirateurs et de lits dans les services de réanimation s’est faite cruellement ressentir, est due au fait qu’on a privilégié un développement économique libéral au détriment d’un état régulateur. 

On doit donc aller plus loin dans les politiques d’éducation, des politiques de la santé, des politiques structurelles pour faire en sorte qu’on ait une régulation des politiques publiques qui aujourd’hui sont insuffisantes. Et c’est là la réflexion que l’on doit mener pour construire une société après la crise. Je me méfie des bonnes ou belles intentions pour le jour d’après, il va falloir d’abord gérer une crise sociale sans précédent. Nous allons avoir une récession pour cette année 2020 qu’on n’a jamais connu hormis au sortir de la Seconde Guerre Mondiale. Tout est à reconstruire. 

D’évidence, l’Etat « providence » va avoir son rôle à jouer. Pour accompagner ceux qui sont en difficulté, pour nationaliser les entreprises qui vont être en difficulté comme l’aéronautique, les compagnies aériennes, les constructeurs automobiles, voilà des entreprises qui font beaucoup pour la croissance dans nos pays en Europe et qui sont impactées directement par ce confinement et cette crise. Le dé-confinement est prévu progressivement en Europe à partir de début mai. Ce dé-confinement se fera très progressivement. Un des enjeux majeurs est aussi la construction d’un nouveau partenariat économique entre l’Europe et le continent Africain, entre les deux rives de la Méditerranée. C’est un nouveau paradigme de développement qu’il nous faut inventer.

Fares Boudidit:

Vous avez analysé la situation de l’après dé-confinement, l’Europe avait misé sur la mobilité avant ce confinement et les règles qui vont suivre rendent la mobilité réduite quasi à néant. Ce projet entre l’Afrique et l’Europe ne serait-il pas une solution pour sortir l’Europe de cette immobilité?

Gilles Pargneaux:

Une de nos ambitions de la fondation internationale EuroMedA c’est: 

Comment pouvons-nous construire un nouveau paradigme de développement en ce 21ème siècle avec une nouvelle politique à définir, une nouvelle contractualisation entre l’Europe et le continent africain?

Comme on lutte contre le réchauffement climatique parce que l’Afrique est la première victime de ce changement climatique. A partir du moment où se multiplient les catastrophes naturelles, la désertification, la famine se déclenche la migration.

Or, l’Europe doit se prémunir et ne pourra pas accueillir des millions de migrants ces prochaines années sur son territoire. La crise du COVID-19 est un nouveau clignotant rouge pour les européens. 

En disant, si les européens n’aident pas le continent africain à affronter cette crise, ce sont des millions d’africains qui voudront migrer pour quitter leur pays et simplement vivre et venir en Europe. Il pourrait y avoir là un bouleversement politique qui peut amener non pas une lutte, une guerre contre un virus mais une guerre tout court. On est dans l’obligation après cette crise de construire une nouvelle politique de développement entre l’Afrique et le continent européen.

Fares Boudidit:

En Europe, on a vu la pénurie de masques et des gels hydroalcooliques. On a vu aussi l’augmentation des prix devant cette pénurie. Sa majesté Mohammed VI a établi une réglementation des prix des masques sanitaires et gels hydroalcooliques.

Pourquoi n’avons-nous pas encore de réglementation de cet ordre chez nous en Europe?

Réponse 4:

Gilles Pargneaux:

Pour en revenir aux masques, le dé-confinement ne fera pas disparaître le virus, avec lequel nous devrons vivre jusqu’à ce qu’un vaccin soit trouvé. Notre protection est le masque, la distanciation, les gestes barrière, le lavage des mains avec de la solution hydro-alcoolique.

Sa Majesté le Roi Mohammed VI a tout de suite développé une production de solution hydro-alcoolique forte pour les besoins de la population. Il a fait distribuer des masques tout en précisant qu’ils ne pouvaient être vendus à plus de 0,8 dirhams. Les entreprises pouvant permettre de produire ces masques ont été subventionnés afin que chaque marocaine et marocain puisse en disposer facilement. 

Quels sont les échos internationaux sur la gestion de la pandémie au Maroc?

Gilles Pargneaux:

A n’en pas douter, les résultats de la gestion de crise développée par le Maroc ont été remarqués très favorablement au niveau international et européen. Réactivité, empathie, vision prospective sont les mots clés du Maroc dans cette gestion de crise.

Dans une récession mondiale que nous allons vivre tout au long de l’année 2020 où tout sera à reconstruire, à consolider, à réinventer, les Etats comme le Maroc qui auront réussi à limiter les dégâts par leurs politiques avisées, auront non seulement leur mot à dire au sein de la diplomatie internationale mais aussi joueront un rôle moteur dans cette grande oeuvre de reconstruction. Je pense notamment au rôle du Maroc au sein de l’Union Africaine.