Les sympathisants de Kadhafi au cœur du conflit présidentiel entre Haftar et Bachagha (Analyse)

La libération de Saadi Kadhafi, fils de l’ancien leader libyen disparu, Mouammar Kadhafi, est un indicateur que le pays se dirige vers de profonds changements

Après la libération de Saa’di Kadhafi et l’approbation de remettre les restes du corps de son père défunt, Bachagha s’emploie-t-il à obtenir le soutien des sympathisants de l’ancien régime à la prochaine Présidentielle?

L’acquittement de Saa’di est un prélude à la grâce qui sera offerte à son frère, Seif al-Islam, pour lui ouvrir grandes les portes de se porter candidat à la Présidentielle.

La remise par Bachagha et les notables de Misrata des restes du leader libyen défunt à sa tribu à Syrte est intervenue, quelques jours seulement, après que les milices de Haftar aient dévoilé les parties qui ont assassiné un officier supérieur parmi les sympathisants de l’ancien régime.

La libération de Saadi Kadhafi, fils de l’ancien leader libyen disparu, Mouammar Kadhafi, après son emprisonnement pendant plusieurs années, est un indicateur que le pays se dirige vers de profonds changements qui surpassent le conflit traditionnel actuel entre l’est et l’ouest.

En effet, Saa’di Kadhafi (48 ans), qui est accusé d’avoir perpétré des crimes de guerre et des crimes contre l’Humanité a été innocenté et libéré, le 5 septembre courant, et non pas libéré à la faveur d’une grâce présidentielle au terme d’un jugement définitif émis à son encontre.

Toutefois, le Conseil présidentiel a annoncé que les libérations qui ont, récemment, touché des prisonniers politiques en Libye interviennent dans le cadre de la réconciliation nationale qui a démarré officiellement le 6 septembre.

Cela confirme que la libération de Saa’di a eu lieu dans un « cadre politique », mais a été empreinte d’un cachet judiciaire, ce qui le blanchit de tous les chefs d’accusation à caractère criminel qui lui ont été à sa charge et le rétablit ainsi dans ses droits politiques, y compris, celui de se porter candidat à la Présidentielle, d’autant plus que le Conseil présidentiel l’a qualifié implicitement de « prisonnier politique ».

– Seif al-Islam sur la voie de se porter candidat à la présidentielle

La libération de Saa’di Kadhafi rend probable que la réconciliation nationale touchera également son frère Seif al-Islam, dont l’information de sa probable candidature à la présidentielle du 24 décembre prochain a été fuitée par un site électronique qui lui est proche (Le portail d’information de l’Afrique), le 1er septembre courant, qui marque le 52ème anniversaire du coup d’Etat commis par son défunt père, Mouammar Kadhafi, contre le roi Idriss Senoussi en septembre 1969.

Seif al-Islam est condamné à la peine capitale pour des accusations portant sur des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité par un tribunal de Tripoli, de même que le Procureur général militaire a émis un mandat d’arrêt à son encontre, le 5 août dernier, en plus du fait qu’il est réclamé par la Cour pénale internationale (CPI) pour des chefs d’accusation similaires.

Cependant, lui accorder une grâce présidentielle ou l’innocenter des crimes qui lui ont été adressés, arguant du fait qu’il s’agit d’un opposant politique, seront de nature à lui ouvrir grandes les portes pour se porter candidat à la prochaine présidentielle, prévue avant la fin de l’année en cours.

Cela ne semble pas exclu en dépit de l’opposition de nombreuses parties, au premier rang desquelles figurent Khalifa Haftar et son allié politique Aguila Salah, président de la Chambre des députés, qui affiche publiquement son hostilité à la candidature de Seif al-Islam au scrutin présidentiel.

Aguila Salah estime, pour justifier son opposition, qu’un « individu condamné par la Cour pénale internationale d’avoir commis des crimes de guerre n’a pas le droit de se porter candidat à la présidence de l’Etat libyen ».

Il convient de noter, cependant, que la CPI n’a pas encore émis de jugement à l’encontre de Seif al-Islam, ce qui signifie que la position de Aguila Salah est plus politique que juridique.

En revanche, plusieurs pays exercent des pressions en faveur de la candidature de Kadhafi fils à la Présidentielle et du retour de l’ancien régime au pouvoir, en particulier, la Russie.

–Les voix des Kadhafistes : un enjeu majeur


Le slogan de la prochaine étape est la « Réconciliation nationale » mais derrière ce slogan s’affiche une volonté de la région ouest du pays, en particulier, des notables de la ville de Misrata de retirer la carte des soutiens de l’ancien régime des mains de Haftar, afin que ce dernier ne la manipule pas en sa faveur durant la prochaine présidentielle.

Les principaux noms qui se porteraient candidats à la présidentielle sont Khalifa Haftar Seif al-Islam Kadhafi et Fethi Bachagha, ancien ministre de l’Intérieur au sein du gouvernement d’Entente nationale.

Au cas où Kadhafi ne parviendrait pas à se porter candidat, la concurrence se limiterait à Haftar et à Bachagha, qui est issu de Misrata, 3éme plus grande ville du pays, en termes de nombre d’habitants, après Tripoli la capitale et Benghazi, mais qui demeure la plus puissante au plan militaire et en termes d’influence dans la région occidentale.

Compte tenu du fait que les sympathisants de Kadhafi constituent un corps électoral au poids certain et qui sont en mesure de faire balancer la course en faveur d’une partie au détriment d’une autre, la compétition visant à obtenir le soutien de cette catégorie a atteint son point d’orgue entre les camps de Haftar et de Bachagha.

Au début du mois de septembre courant, les milices de Haftar ont dévoilé la vérité sur l’assassinat du colonel Massoud Dhaoui, un des principaux dirigeants militaires de la tribu de Werchfena (ouest) loyale, d’une part, à Kadhafi fils, mais alliée aussi à Haftar. Dgaoui avait été tué le 23 mai 2019 dans l’attaque contre Tripoli.

Cette vérité était une requête persistante faite par la tribu de Werchfena depuis près de deux ans, bien que les ministres de Haftar aient allégué, en 2019, que Dhaoui avait été tué sur une des lignes de front lors des combats, avant de relater récemment une autre version complètement différente, comportant des aveux de l’un des participants à l’assassinat.

L’aveu confirmait que les instructions de l’élimination de Dhaoui étaient venues directement de Mohcen al-Kani, un chefs de terrain des milices des Caniettes qui soutiennent Haftar,
Indépendamment des détails de cette scabreuse affaire, le principal objectif de la mise à nu des tenants et aboutissants et des noms des huit assassins et participants à l’élimination de Dhaoui, consiste à garantir le soutien de la tribu de Werchfen en faveur de Haftar lors de la prochaine présidentielle.

Cependant, Bachagha a réagi énergiquement à cette mesure en accueillant une délégation de la tribu des Khedhedfa à Misrata (200 km à l’ouest de Tripoli) et leur a notifié, en présence des notables de la ville, de son accord de leur remettre les restes de Mouammar Kadhafi et de son fils al-Mouaatacim.

Il est attendu que les restes du leader libyen soient enterrés dans sa ville natale de Syrte (450 km à l’est de Tripoli), ce qui pourrait faire de sa tombe un lieu de visite de ses sympathisants et placera ainsi les milices de Haftar face à un dilemme.

En effet, les milices de Haftar contrôlent Syrte, qui est située sur la ligne de front avec les forces de l’armée libyenne, et l’interdiction de l’enterrement des restes de Mouammar Kadhafi dans la ville, rendraient les relations avec les sympathisants de l’ancien régime tendues, et feraient courir le risque au général à la retraite de perdre leur soutien aux élections.

Toutefois, l’approbation de l’inhumation ferait que les sympathisants de Kadhafi afflueraient sur la cité de toutes parts, ce qui affaiblirait le contrôle des milices de Haftar sur cette ville stratégique.

La course vers la présidence de la Libye a démarré, quand bien même de manière informelle, entre trois courants principaux. Mais Haftar et Bachagha tentent de glaner les voix des sympathisants de l’ancien régime s’ils parviendraient à atteindre le deuxième tour des élections, dont la tenue même fait l’objet de doute.

Si Seif al-Islam se porterait candidat à la Présidentielle, cela mélangerait les cartes et changerait la nature des alliances, dans la mesure où la logique de la politique enseigne qu’il « n’y a pas d’ennemi permanent, ni d’ami permanent mais plutôt des intérêts permanents ».

Lorsque le Chef du gouvernement libyen d’Union nationale, Abdelhamid Dbeibah, a été questionné sur la candidature de Kadhafi fils à la Présidentielle, il a rétorqué par une réponse qui pourrait être interprétée différemment, en indiquant que « Seif al-Islam est un citoyen libyen, membre d’une tribu importante en Libye, et je n’ai aucune objection à ce qu’un citoyen, qui n’a pas de problèmes d’ordre juridique, se porte candidat ».

D’une part, Dbeibah ne s’oppose pas à la candidature de Seif al-Islam mais conditionne cela par le fait que le candidat n’ait pas de « problèmes d’ordre juridique », ce qui n’est pas encore disponible dans son cas, sauf si le Conseil présidentiel lui accorde une grâce, dans le cadre de la Réconciliation nationale et avec l’encouragement de la Russie.

A l’approche de la date du 24 décembre, chaque partie affute ses armes et s’emploie à abattre toutes ses cartes dans le cadre du cercle d’alliances difficiles et parfois contre-nature, afin de pouvoir infiltrer les zones d’influence des adversaires et les soutiens de l’ancien régime sont désormais au cœur de ce conflit.

* Traduit de l’arabe par Hatem Kattou