Macron au Rwanda : Le poids accablant du génocide toujours là (Analyse)

Un vent de « rébellion » souffle depuis des années, dans plusieurs contrées de l’Afrique, contre la France et contre son rapport au continent. On s’attendait à ce que Macron, via le Rwanda, annonce un changement. Il ne l’a pas fait…

Les voix critiquant la politique française en Afrique, son interventionnisme « intéressé » et son exploitation, souvent éhontée, de ses ressources, sans aucune considération pour les vrais intérêts d’un continent dont l’Hexagone a été le grand colonisateur, ont pris une toute autre ampleur, lors et après le génocide de la minorité tutsi, entre avril et juillet 1994. Un génocide qui a coûté la vie, selon l’ONU, à 800 000 personnes, par un pouvoir raciste et extrémiste, soutenu par Paris qui a, au moins, laissé faire pour des raisons géopolitiques et pour maintenir à la présidence, Juvénal Habyarimana et ses lieutenants, considérés comme des « alliés sûrs ».


Un rapport accusateur

En quatre mois, sous les yeux de l’armée française présente au Rwanda, l’un des plus grands massacres d’épuration éthique de l’histoire de l’Humanité a eu lieu, provoquant indignation et condamnations unanimes dans le monde entier qui pointait du doigt le pays de la Déclaration universelle des droits de l’homme, désigné pour rétablir la paix dans la Terre des 1000 collines et y faire appliquer les récents accords d’Arusha (4 août 1993), stipulant institution de la démocratie et partage du pouvoir entre Hutus et Tutsis. A l’évidence, ces accords ne lui convenaient pas du tout, au point d’avoir pris le risque d’être impliqué dans un crime contre l’Humanité. Une implication qui n’a jamais été mise en doute, mais jusqu’à quel point?

Les 1200 pages du rapport de la Commission (Vincent) Duclert, créée par Emmanuel Macron pour apporter la lumière sur cette plaie encore béante, établissent « les responsabilités lourdes et accablantes » de l’Exécutif français (François Mitterrand, avec Edouard Balladur pour Premier ministre) dans le génocide. Et même si la complicité n’est pas déclarée dans le document, basé sur des notes et des rapports confidentiels, ainsi que sur des télégrammes diplomatiques, il évoque quand même un naufrage politique, militaire, diplomatique, administratif, intellectuel et éthique, en plus d' »un aveuglement idéologique de Mitterrand et de ses conseillers, s’appuyant sur des stéréotypes coloniaux qui ont fait la politique française en Afrique ».

On s’attendait à ce que ces accusations que le Président français ne devait pas ignorer, allaient lui servir comme va-tout pour montrer que son pays a réellement « le courage de reconnaître ses erreurs et qu’il a la volonté d’aborder un nouveau genre de rapports avec le Rwanda et, par-delà, avec l’Afrique », ce que lui et ses collaborateurs laissaient entendre avant son déplacement, hier, à Kigali. Un déplacement que Macron a pris soin de préparer par un rapprochement avec le président Kagame, par le soutien qu’il a apporté à l’élection de la Rwandaise Louise Mushikiwabo à la tête de l’Organisation internationale de la Francophonie et par la toute récente arrestation d’un paroissien hutu, soupçonné de participation au génocide, qui officie depuis 1999 en France, où il s’était réfugié.

Aussi était-il attendu que Macron présentât, hier (jeudi), des excuses claires de la France au Rwanda pour ce génocide, un pas que Sarkozy n’avait pas osé franchir, lors de sa visite à Kigali en 2010, où il s’était contenté de reconnaître « des erreurs et un aveuglement », ce qui a rendu tendues, jusqu’à une rupture de près de cinq ans, ses relations avec le pouvoir rwandais, dont notamment le président Kagame, l’ancien chef du Front patriotique rwandais qui a combattu et fait tomber le régime extrémiste hutu. Qu’a dit, en fait, Macron, en plus?


L’ambiguïté d’un discours

Son discours au Mémorial du génocide à Kigali, où sont enterrés les restes de 250 000 victimes des massacres, devait être déterminant. C’est qu’il était attendu que les mots choisis pour exposer la prétendue et médiatisée volonté de l’Hexagone d’ouvrir une « nouvelle page de l’histoire avec le Rwanda et l’Afrique » ou d’en finir « avec la politique de Françafrique », expriment des excuses nettes et sans ambiguïté, surtout face à un Kagame qui, tout en laissant la porte ouverte à une réconciliation entre les deux pays, n’a pas manifesté un enthousiasme débordant, à la veille de cette visite et ce, malgré le rapport Duclert qu’il a commenté par un laconique et distant « je peux m’en accommoder… ». Quant aux excuses auxquelles il a implicitement laissé entendre s’attendre, la veille de la visite de Macron, il s’était contenté de dire que ce n’était ni à lui ni à personne d’autre de les demander et qu’elles doivent, surtout, être sincères.

Mais si désenchantement il y a eu, le président rwandais n’en a rien laissé voir. Il a même dédouané son hôte qui n’a fait que reprendre les déjà connus et reconnus (mé)faits reprochés à la France comme son « aveuglement politique », ses « erreurs de jugement », sa « responsabilité accablante pour ne pas avoir osé empêché le génocide »… En qualifiant le discours de Macron, où il n’y avait ni excuses, ni repentance et encore moins demande de pardon, de « puissant, à signification spéciale et à valeur plus importante que les excuses », Kagame s’est, en effet, contenté du minimum, décevant les familles, les associations et les collectifs des parties civiles des victimes du génocide. Plusieurs parmi ces derniers ont dénoncé « l’absence de courage » du président français qui, avec force effets de style, n’a présenté ni les excuses ni la demande de pardon de son pays au Rwanda, se limitant au souhait de voir les victimes pardonner.
Macron a profité de son discours de quinze minutes pour mettre en évidence l’absence de complicité de son pays, allant jusqu’à louer son engagement désintéressé, dès 1990, au Rwanda et ses « intentions » d’y installer la paix, critiquant -au passage- le « silence des instances internationales (NDLR : entendre ONU) et leur intervention tardive ». Comme quoi, la responsabilité est partagée, selon lui. Sauf que l’armée française était sur place et que Paris soutenait le pouvoir génocidaire. Un discours qui n’aura pas effarouché ceux qui, parmi les Français, n’auraient pas apprécié que leur Président aille davantage dans la reconnaissance des torts causés par leur pays.

En gros, une visite qui aura accouché d’un imminent réchauffement diplomatique pour lequel la France n’a pas concédé grand’ chose. Elle n’effacera surtout pas le lourd passif de l’Hexagone vis à vis des Rwandais et des Africains, en plus général. En tout cas, Macron a raté une occasion pour montrer -à ceux qui y croient encore- qu’il veut vraiment changer de politique de la France dans le continent.

Fatma Bendhaou – Slah Grichi