Pèlerinage annulé, chute des cours du pétrole: en Arabie saoudite, une crise économique en trompe-l’œil?

Ni pèlerinage à La Mecque ni excédents du fait d’un pétrole à très bas prix: l’Arabie saoudite est-elle économiquement et diplomatiquement fragilisée face à ses adversaires régionaux? Pas si sûr, confie au micro de Sputnik Roland Lombardi, spécialiste du Moyen-Orient.

12 milliards de dollars. C’est la somme que rapporte chaque année le tourisme religieux en Arabie saoudite. Mais cette année, seuls 10.000 Saoudiens et résidents étrangers sont autorisés à effectuer le pèlerinage à La Mecque, le hadj, contre 2,5 millions l’année dernière. Un manque à gagner considérable. Au micro de Sputnik, Muhammad al-Muajel, président du comité du tourisme de la Chambre de commerce et d’industrie de Riyad, estime que

«Le Royaume est dépourvu de 4 millions de touristes et pèlerins, et ça, c’est un revenu égal à 2,5 milliards de rials saoudiens [565 millions d’euros, ndlr]. Mais le ministère du Tourisme envisage de stimuler le tourisme intérieur cette année, ça pourrait aider à combler les pertes.»

Et même si «limiter le hadj aux résidents représente un coût substantiel, mais surmontable pour l’économie», estime Sofia Meranto, du centre d’analyse Eurasia Group, ce manque à gagner s’ajoute à d’autres chocs économiques que vit déjà le royaume. En effet, à ce trou dans les caisses de Riyad viennent s’ajouter des performances économiques mitigées ces dernières années, mais surtout ces derniers mois:

«Depuis 2014, l’Arabie saoudite est victime de sa propre politique économique et géostratégique. Elle entend baisser le prix du pétrole en augmentant la production pour gêner notamment la Russie et l’Iran», confie au micro de Sputnik Roland Lombardi, historien, spécialiste du Moyen-Orient, auteur de « Poutine d’Arabie » (éditions VA, 2020).

De ce fait, le royaume a récemment mis en place des mesures d’austérité inédites: triplant notamment la TVA et suspendant les allocations sociales.

Arabie saoudite, des difficultés économiques à relativiser

Cette pandémie, dont on connaît le début, mais pas la fin, arrive de surcroît à un mauvais moment pour les dirigeants actuels du royaume. Depuis son arrivée au pouvoir, Mohamed Ben Salmane, prince héritier, entreprend une large diversification de l’économie appelée «Vision 2030», et qui cherche à rendre le royaume moins dépendant de la rente pétrolière.

«Sur le plan de Vision 2030, le Covid-19 a rebattu les cartes et aggravé la situation économique», rappelle Roland Lombardi.  

Au printemps 2016, Mohamed Ben Salmane déclarait: «Je pense que d’ici 2020, si le pétrole disparaît, nous pouvons survivre.» Une chimère quand on sait qu’en 2019 encore, le pétrole représentait près de 80% des exportations du royaume et près de 30% de son PIB. Rien que ça.

Mais si le pétrole ne rapporte plus autant qu’avant, les difficultés actuelles du royaume bouleverseront-elles l’équilibre géostratégique et les ambitions saoudiennes dans la région? Pour Roland Lombardi, c’est loin d’être le cas:

«Peut-on dire que l’Arabie saoudite connaît de graves problèmes économiques? Oui, mais comme tous ses voisins.»

C’est même tout le contraire selon lui: «par rapport à ses adversaires géopolitiques, le Qatar et la Turquie d’un côté et l’Iran de l’autre, même si elle a des difficultés, l’Arabie saoudite se porte plutôt bien d’un point de vue économique.»

Riyad pragmatique géopolitiquement

Bien que le projet saoudien de diversification par le tourisme soit mis à mal et que les prix du pétrole soient très bas, le royaume peut encore compter sur ses forces, à commencer par «de plus grandes réserves pétrolières et financières que celles de ses adversaires.» Des décennies d’exportations en masse de pétrole ont permis au Royaume de se préparer à de tels épisodes.

«Preuve en est: lorsque les cours des marchés se sont effondrés il y a quelques semaines, le fonds d’investissement public saoudien a racheté toutes les valeurs occidentales qui chutaient à moins de 50% sur toutes places boursières européennes. En un trimestre, le portefeuille de ce fonds est passé de deux milliards à dix milliards», rappelle Roland Lombardi.

Pour toutes ces raisons, le chercheur ne pense pas que ces problèmes économiques ont matière à bouleverser la politique du royaume dans la région:

«La seule exception est le retrait en demi-teinte de Riyad dans sa confrontation avec l’Iran. Mais l’Arabie saoudite est pragmatique, elle laisse les États-Unis et Israël faire le travail.»

En effet, l’Iran est quant à lui extrêmement affaibli économiquement. Au-delà de l’impact du Covid-19, la «pression maximale» imposée par les sanctions et les attaques israéliennes sur son territoire font que Riyad n’a même pas besoin de faire pression sur Téhéran. Pas de panique donc, selon Roland Lombardi: l’Arabie saoudite continuera d’être un acteur régional décisif dans les mois et les années à venir.