Pologne: la Mazurie, havre des fromagers qui ont fui les villes

Les brebis sont dans le pré, les fromages, dans une chambre de maturation au rez-de-chaussée, tandis qu’au grenier-salon une cascade de sons harmonieux coule d’un vieux piano: la Mazurie, connue pour ses grands lacs, est aussi la patrie des fromagers ex-citadins polonais.

La Pologne, pays de grande tradition agricole, est déjà une superpuissance européenne en ce qui concerne la production de volaille ou de pommes. Le sera-t-elle un jour pour les fromages fermiers ?

– « Faire du mouton » –

Troupeau de chèvres de l’exploitation « Nad Arem » spécialisée en fabrication de fromages de chèvre, le 15 mai 2020 dans la région de la Mazurie (nord-est de la Pologne)
AFP / Wojtek RADWANSKI

« Les petits fromagers sont environ un millier et chaque semaine j’en découvre deux ou trois nouveaux qui se lancent », dit à l’AFP le critique gastronomique Gieno Mientkiewicz, grand amateur des fromages. Ce sont souvent, ajoute-t-il, « des citadins cultivés qui ont quitté des postes intéressants dans les grandes entreprises pour aller chercher silence, verdure et mode de vie différent ». Un courant rappelant la France d’après Mai 68, quand des communautés hippies avaient rêvé de « faire du mouton dans les Causses » .

L’histoire du propriétaire de Rancho Frontiera à Warpuny, Ruslan Kozynko, en fournit un exemple.

D’origine ukrainienne, ce pianiste classique, compositeur et alpiniste, a vécu dans la grande ville de Poznan. Sa femme, Sylwia Szlandrowicz, a fait, elle, des études d’agriculture.

Quand ils décident de réaliser leur rêve bucolique, il y a une vingtaine d’années, et acquièrent une ferme en ruine de 17 hectares, ils commencent par monter une école d’équitation. Mais celle-ci ne rapporte pas grand-chose et ils se tournent vers les fromages.

Ania – la fille de Sylwia Szlandrowicz et Ruslan Kozynko – nourrit ses agneaux sur les terres de la ferme de ses parents dans la région de Mazurie (nord-est de la Pologne), le 15 mai 2020
AFP / Wojtek RADWANSKI

« Nous n’avons pas pris de vacances pendant près de 15 ans, avant de parvenir à un certain niveau de vie et de confort », raconte Kozynko.

Leurs vaches sont de race jersiaise, originaire de l’île britannique de Jersey. Assez petites, au poil fauve, nuancé de brun et gris, elles donnent du lait très gras « au goût exceptionnel ».

« En Europe il y a de moins en moins d’herbes naturellement riches et je pense que c’est une des raisons pour lesquelles nos fromages plaisent autant aux Polonais mais parfois aussi aux Italiens, aux Français ou aux Espagnols », s’enorgueillit Sylwia Szlandrowicz.

Les brebis, elles, sont des Frisonnes, une des meilleures races laitières du monde venant de Frise orientale, dans le nord de l’Allemagne.

Izabela Ciesielska entrepose ses fromages de chèvre dans la chambre froide de son exploitation agricole « Nad Arem » installée en Mazurie (nord-est de la Pologne), le 15 mai 2020
AFP / Wojtek RADWANSKI

« Nous faisons du fromage frais de brebis, et un fromage affiné à la saveur puissante appelé Mazurian. C’est un fromage fermier fait à la main, alors que le pecorino italien, auquel il ressemble, est un produit industriel », explique Sylwia Szlandrowicz. Un bleu complète la gamme.

Avec le lait des jersiaises, ils produisent entre autres un fromage rappelant le parmesan, baptisé Dzersejan, et un Jersey Bleu.

L’histoire d’une autre ferme de la région, « Nad Arem », spécialisée dans les fromages de chèvre, s’inscrit dans la même tendance.

Une entrepreneuse, Helena Wroblewska, s’est lancée au début des années 90 dans la fabrication de chandails à Olsztyn, la plus grande ville de la Mazurie. Epuisée par la concurrence asiatique, elle voit une prairie au bord d’un lac à Kierzliny et décide que « c’est sa place sur la Terre », raconte-t-elle.

Elle rachète une ferme en piètre état, la rénove, commence à élever des chèvres, juste pour elle. Celles-ci se multiplient comme des lapins, elle ne sait plus que faire des centaines de litres de leur lait.

– Trois cents chèvres –

« C’était à choisir, le lait de chèvre en poudre ou les fromages ». Ce seront les fromages. L’attrait de la vie campagnarde est suffisamment fort pour qu’une de ses filles, Izabela, psychologue de son métier, la rejoigne et donne une nouvelle impulsion à l’élevage.

Sylwia Szlandrowicz dans la chambre froide de sa ferme où maturent ses fromages, en Mazurie (nord-est de la Pologne), le 15 mai 2020
AFP / Wojtek RADWANSKI

Aujourd’hui, dans une immense prairie, quelque trois cents chèvres – surtout des Alpines – gambadent joyeusement. La ferme exploite plus de 50 hectares de pâturages et produit quelque dix tonnes de fromages par an.

« Maintenant je fais des fromages dont l’affinement prend deux ans. Et aussi des fromages saumurés, auxquels on ajoute des herbes: de la nigelle, de l’ail des ours, des tomates séchées, du fenugrec, de la coriandre, de l’ortie, de la menthe », énumère Izabela.

Les fromagers artisanaux polonais n’ont aucun mal à écouler leur production près de chez eux. Par conséquent « ils n’attaquent pas encore le marché européen, craignant la bureaucratie », explique M. Mientkiewicz.

Helena Wroblewska parmi ses chèvres sur les terres de sa ferme dans la région de la Mazurie (nord-est de la Pologne), le 15 mai 2020 – AFP / Wojtek RADWANSKI