Retrait de troupes US d’Allemagne: l’Otan, outil de pression commerciale pour Trump?

Donald Trump continue d’accentuer la pression militaire sur l’Allemagne, car cette dernière ne s’investirait pas assez dans l’effort européen de Défense, selon Washington. Pour l’amiral Alain Coldefy, interrogé par Sputnik, les raisons sont toutes autres: la balance commerciale déficitaire des États-Unis avec l’Allemagne.

Par Hakim Saleck

Entre Washington et Berlin, la relation est de plus en plus tendue. Après que Donald Trump a confirmé le retrait de 11.900 soldats d’Allemagne au motif d’investissements allemands trop légers dans leur budget Défense et l’Otan, Mike Esper, le secrétaire d’État à la Défense, a annoncé qu’il s’agirait d’un redéploiement tactique.

Qui croire? Le chef des armées ou la personne que ce dernier a désignée pour diriger ses armées? Difficile à dire. D’autant qu’après la prise de parole de Mike Esper, qui visait clairement à rassurer les alliés allemands, Donald Trump a renchéri, répétant ce 29 juillet qu’il ne voulait pas être le «pigeon» d’une Allemagne «délinquante», qui ne contribue pas assez au budget Défense de l’Otan.

Pourtant, le gouvernement allemand aurait dépensé plus de 760 millions d’euros pour l’entretien du contingent US sur son territoire durant les sept dernières années, à en croire la députée du Parti de gauche allemand Brigitte Freihold.

Selon le document du ministère allemand des Finances cité par Brigitte Freihold en 2019, cet argent était dépensé pour les retraites des ex-cadres, l’exploitation des bâtiments et des terrains, la construction sur le territoire des bases américaines. Le même rapport souligne que la majorité de l’argent allemand destiné aux installations militaires des partenaires de l’Otan en Allemagne est affecté aux bases américaines.

Pour l’amiral Alain Coldefy, ancien inspecteur général des armées, le retrait du contingent US d’Allemagne à de tout autres raisons:

«Cela relève d’un redéploiement tactique qui est habillé par une fausse déclaration sur la contribution allemande à l’Otan, car la politique économique d’Angela Merkel déplaît à Donald Trump», estime l’amiral au micro de Sputnik.

La thèse du directeur de la Revue Défense nationale prend tout son sens quand on examine cette manœuvre de plus près: la Belgique et l’Italie sont deux très mauvais élèves au regard de l’objectif des 2% du PIB consacrés aux dépenses militaires. Et pourtant ce sont deux des trois pays, avec la Pologne, où sont redéployées une partie des troupes retirées d’Allemagne.

Troupes américaines en Europe, outil de négociation pour Trump?

Les États-Unis de Donald Trump, toujours très à cheval sur le fait d’équilibrer leur balance commerciale avec celle des autres puissances économiques, sont largement déficitaires vis-à-vis de l’Allemagne. En 2019, ils exportaient 50,6 milliards d’euros de biens en Allemagne, contre 107 milliards d’euros d’importations. Plus du double.

Nous avons un déficit commercial MASSIF avec l’Allemagne, et ils paient beaucoup moins qu’ils ne le devraient pour l’Otan et l’armée. Très mauvais pour les États-Unis. Cela va changer.

De plus, Donald Trump reproche à l’Allemagne de déverser des milliards de dollars à la Russie dans le cadre du gazoduc Nord Stream 2: «nous protégeons l’Allemagne de la Russie. Et la Russie reçoit des milliards et des milliards de dollars de l’Allemagne», se plaignait le pensionnaire de la Maison-Blanche en 2019. Pour lui, «lorsque 50, 60 ou 70% de son énergie est fournie par la Russie», «cela fait vraiment de l’Allemagne un otage de la Russie.»

Berlin étant toujours dépendant du parapluie militaire américain, Donald Trump, en négociateur agressif, semble utiliser cet avantage pour renégocier certains «deals» qui rééquilibreraient la balance commerciale entre les deux pays, voire pour faire pression sur l’Allemagne afin qu’elle réduise sa dépendance énergétique vis-à-vis de Moscou. Une politique de pression militaire de nature à ramener Berlin dans le rang?

«Non, pas du tout. L’Allemagne est redevenue la première puissance économique en Europe et elle ne fait pas de Moscou un adversaire potentiel», analyse l’ancien numéro deux des armées.

Pour lui, «L’Europe est en guerre économique avec les États-Unis. Les puissances européennes en particulier sont dans le collimateur de Trump.» La France en est un bon exemple.

L’Europe en pleine «guerre économique» avec les USA

Les dirigeants français mènent un bras de fer avec leurs homologues américains sur de nombreux sujets commerciaux: le vin, la taxation des GAFAM, sont autant de pommes de discorde entre Washington et Paris. C’est également le cas avec l’Espagne et l’Union européenne dans son ensemble.

​La France vient de mettre une taxe numérique sur nos grandes entreprises technologiques américaines. Si quelqu’un les taxe, ce devrait être leur pays d’origine, les États-Unis. Nous annoncerons sous peu une action réciproque substantielle contre la folie de Macron. J’ai toujours dit que le vin américain était meilleur que le vin français!

Depuis son entrée à la Maison-Blanche, Donald Trump essaye de faire des économies aux dépens de ses partenaires, y compris ceux de l’Otan. Leur Président américain les a rappelés à l’ordre à plusieurs reprises afin qu’ils augmentent leurs dépenses de Défense à hauteur de 2% de leur PIB et accroissent leur participation au budget de fonctionnement de l’Alliance.

© AP Photo / Christian Hartmann, Pool via AP