Si le politique est impuissant face à la finance, c’est parce qu’il le veut bien

GETTY »Le pouvoir politique n’a jamais eu autant les moyens d’exercer son pouvoir. Sauf qu’en Europe, il ne voulait, jusqu’à récemment, pas l’exercer. »

L’Europe serait moins libérale que les États-Unis. Pourtant, le système états-unien, moins social, n’est pas moins étatisé. Dans le monde, les pays qui s’en sortent le mieux ont des systèmes ultra-dirigistes.

Autrefois les Égyptiens pensaient que le pharaon était, de par son pouvoir suprême, à l’origine de la pluie. Encore aujourd’hui, beaucoup pensent que le pouvoir politique peut “faire la pluie et le beau temps”. Pour preuve les manifestations régulières dans la rue, surtout en France, pour revendiquer ou empêcher telle ou telle réforme.

Alors pourquoi ce sentiment, omniprésent dans nos sociétés, de l’incapacité du pouvoir politique à contrôler l’économie et la finance, à influer sur ce qui s’est dématérialisé (l’argent, les flux financiers…), la complexité du monde laissant la finance asseoir sa suprématie? Certes le pouvoir politique n’est qu’un pouvoir parmi d’autres. Mais si on y regarde de près, le pouvoir politique a toujours dû composer avec d’autres forces: la religion, les banques, les médias, l’opinion publique… auxquels s’ajoutent aujourd’hui les grandes multinationales et plus récemment les “GAFA”.

Doit-on par ailleurs rappeler que l’argent ne correspond plus à aucune forme de richesse réelle (et ce depuis la suspension de la convertibilité-or du dollar) et n’est pas structurellement limité? Depuis cette date, l’argent cesse d’être une richesse et devient simplement un moyen d’en mobiliser. Seul l’État décide de la valeur de l’argent, et donc, entre autres, de celle de sa propre dette (“ce que je vous dois est libellé dans ma monnaie, donc je ne vous dois rien” disait en ce sens Milton Friedman). La situation n’a plus rien à voir avec celle de Louis XIV obligé de négocier avec ses créanciers.

Alors que les technologies permettent un contrôle de l’économie plus centralisé que jamais, l’idée d’une incapacité de l’État à exercer ce contrôle est évidemment relayée avec enthousiasme par un certain nombre de dirigeants pour lesquels une telle thèse constitue la meilleure excuse possible pour l’inaction ou le statu quo (“ce n’est pas moi c’est l’économie mondialisée!”).

La droite et une partie de la gauche croient qu’un environnement fiscal et réglementaire favorable stimulera la croissance. Or l’effet de ces politiques reste assez marginal. Pour qu’une entreprise produise, c’est l’État qui doit enclencher la dynamique.

La promotion d’un système économique libéral-monétariste, auquel les États-Unis tournent pourtant résolument le dos, a longtemps été bue comme du petit lait par les Européens. En France, la droite et une bonne partie de la gauche croient sincèrement qu’un environnement fiscal et réglementaire favorable (baisses d’impôts et de charges, réduction des aides sociales, flexibilité du travail) stimulera la croissance car les entreprises échangeront plus de biens et de services ou seront plus compétitives sur les marchés internationaux. Or l’effet de ces politiques reste in fine assez marginal. Pour qu’une entreprise produise et fasse travailler ses sous-traitants, c’est généralement l’État qui doit enclencher la dynamique.

Paradoxalement, de nombreux Européens sont persuadés que l’Europe est moins libérale que les États-Unis, car le débat politique européen est focalisé sur le système d’aide sociale. Les États-Unis sont certes moins “sociaux” et ont un faible secteur public stricto sensu, mais cela n’en fait pas un système moins étatisé pour autant. Le contrôle s’exerce non pas par le fait que l’État est actionnaire mais par le fait qu’il est le client des secteurs stratégiques (la Défense par exemple qui a des retombées considérables sur l’ensemble de l’économie). Les élites de nombre de pays européens, habituées à raisonner en distinguant secteur public/secteur privé, refusent de le voir.

Ailleurs dans le monde, à de rares exceptions près, les pays qui s’en sortent le mieux (en Asie) ont des systèmes ultra-dirigistes et une économie dominée par des groupes privés très liés à l’État comme Huawei ou Cofco en Chine. On ne peut pas en dire autant de l’Afrique, ou de l’Amérique latine, qui appliquent en bloc le modèle libéral-monétariste.

Le pouvoir politique n’a jamais eu autant les moyens d’exercer son pouvoir. Sauf qu’en Europe, il ne voulait, jusqu’à récemment, pas l’exercer. Ce n’est que depuis peu que l’on reparle de l’interventionnisme de l’État pour contrer certaines OPA, réguler les excès des marchés ou sauver des entreprises en faillite. Ceux qui posaient la question du pouvoir de régulation de l’État dans l’économie étaient il y a encore peu vus comme de dangereux partisans de l’économie administrée.

Singapour, La Corée du Sud, et désormais la Chine, sont le meilleur exemple que dirigisme économique n’est pas forcément synonyme d’entrave à la liberté d’entreprendre ou à la flexibilité du marché du travail. 

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