Soudan- la démission de Hamdok : l’escalade de plus (Analyse)

Abdallah Hamdok a annoncé sa démission de la présidence du gouvernement intérimaire, quelques heures après la mort de trois manifestants, et ce pour rejeter son accord politique avec al-Burhan et réclamer un pouvoir civil intégral

Abdallah Hamdok a annoncé sa démission de la présidence du gouvernement intérimaire, quelques heures après la mort de trois manifestants, et ce pour rejeter son accord politique avec al-Burhan et réclamer un pouvoir civil intégral
-Abdelhamid Awadh (analyste) : On se dirige soit vers davantage de domination par la composante militaire et l’annonce d’un gouvernement de gestion des affaires courantes, soit vers l’organisation d’élections, ou encore le retrait de cette composante sous la pression des protestations
-Omar Farouk (Analyste) : Le pays se dirige vers un surcroît d’instabilité…le prochain affrontement opposera le peuple aux militaires dirigés par al-Burhan et si ce dernier réprime les protestations, le Soudan retournera au carré des sanctions et de l’isolement
-Youcef Hamad (Analyste) : L’équation du ‘peuple face aux militaires’ est dépourvue d’un facteur important, à savoir les forces politiques qui ont été diabolisées et « la Proclamation de la Liberté et du Changement’ doit créer un équilibre politique qui satisferait la volonté du peuple et qui garantirait la stabilité du pays

Abdallah Hamdok a accompli ce qu’i envisageait de faire en présentant sa démission de la présidence du gouvernement transitoire soudanais, en annonçant cela dans une allocution télévisée prononcée, dimanche soir. Hamdok avait récupéré son poste, le 21 novembre dernier, au terme d’une « résidence surveillée » qui lui a été assignée par l’armée après son limogeage.
L’annonce de la démission de Hamdok est intervenue quelques heures après des protestations qui ont secoué la capitale Khartoum, réclamant le rétablissement d’un Pouvoir civil intégral, et qui ont fait trois morts et 108 blessés, portant le nombre des décès depuis le début des contestations, le 25 octobre dernier, à 57, selon la Commission des « Médecins du Soudan » (Non-gouvernementale).
Des observateurs de la situation soudanaise ont qualifié le timing de la démission « d’embarrassant et de délicat », d’autant plus que les protestations s’étendent encore et prennent de l’ampleur, en signe de rejet des mesures décidées par le commandant de l’armée, le général-major Abdelfattah al-Burhan et de refus de l’Accord politique qu’il a conclu avec Hamdok. Les protestataires exigent la mise en place d’un pouvoir civil exclusif.
Depuis le 25 octobre dernier, le Soudan évolue au rythme d’une contestation populaire d’envergue qui rejette les mesures prises par al-Burhan, qui a, entre autres, décrété l’état d’urgence, dissous les Conseils intérimaires de la Souveraineté et des ministres, limogé Hamdok et arrêté des hommes politiques et de hauts responsables civils, ce qui a été considéré par une grande partie de la population comme étant un « coup d’Etat », ce qui est réfuté en bloc par l’armée.
Al-Burhan et Hamdok ont signé, le 21 novembre dernier, un Accord politique en vertu duquel Hamdok reprend son poste er forme un gouvernement de technocrates (sans appartenance politique), tout en élargissant les prisonniers d’opinion. Toutefois, plusieurs forces politiques assez représentatives de l’échiquier politique soudanais ont considéré ledit Accord comme une « tentative de légalisation du coup d’Etat » et poursuivent leur protesta pour exiger l’établissement d’un Pouvoir civil intégral.
La démission de Hamdol s’est produite à un moment où certaines régions du pays (Sud-Kordofan et Darfour) sont le théâtre de dérives sécuritaires que les autorités tentent de contenir, parallèlement à une situation économique détériorée et à une phase transitoire essaimée de troubles et d’instabilité.
Le Soudan évolue, depuis le 21 août 2019, au rythme d’une phase transitoire devant être couronnée par l’organisation, à l’orée de l’année 2024, d’élections générales. Au cours de cette phase transitoire, le pouvoir est partagé par l’armée, des forces civiles et des Mouvements armés signataires, en 2020 d’un Accord de paix avec le gouvernement.
Dans son discours prononcé à l’occasion de son départ, Hamdok a dit que « le pays est engagé dans un tournant des plus délicats », précisant que « la solution consiste en un Dialogue intégral, à la faveur duquel tous les protagonistes discutent autour d’une table ».
En vertu d’un Document constitutionnel signé entre le Conseil militaire et la Coalition des « Forces de la Liberté et du Changement », Abdallah Hamdok a présidé le gouvernement, en date du 21 août 2019, après que de hauts officiers de l’armée aient déposé l’ancien président Omar Hassan al-Bachir, au pouvoir depuis 1989, sous la pression de protestations populaires d’envergure qui dénonçaient, essentiellement, les conditions de vie déplorables et la détérioration de la situation économique.
Il ressort de ce Document que le choix d’un président du Conseil des ministres relève des compétences des « Forces de la Liberté et du Changement », et ce choix est assujetti à la validation du Conseil de la Souveraineté, qui est présidé par al-Burhan.

** La composante militaire
L’analyste politique Abdelhamid Awadh, a souligné que « la démission de Hamdok ouvre la porte à toutes les éventualités et personne n’est en mesure ni n’a le pouvoir de deviner ou de déterminer ce qui se passera au cours des prochains jours ou semaines ».
Dans une entrevue accordée à AA, Awadh a lancé : « La situation est complétement floue ».
« La démission de l’homme, en elle-même, est pertinente et judicieuse, body_abstraction faite de son timing, dans la mesure où Hamdok a commis une erreur en apposant sa signature en bas de l’Accord politique avec al-Burhan », a-t-il relevé.
« C’est ainsi que les évènements se sont accélérés, aboutissant à une prise de conscience par Hamdok et provoquant sa démission qui nous met face à l’option du resserrement de l’étau de la composante militaire (de l’autorité transitoire) et l’annonce par ce dernier d’un gouvernement de gestion des affaires courantes ou l’organisation d’élections », a-t-il expliqué.
Il existe aussi, a-t-il nuancé, « l’option consistant à ce que les protestations populaires accentuées parviennent à contraindre le commandement militaire à se retirer ou à offrir des concessions du moins ».

** Le carré de l’isolement international
De son côté, Omar Farouk, analyste politique, la « démission de Hamdok est motivée, en partie, par les mauvais calculs et les estimations inappropriées faits par Hamdok lorsqu’il a signé, seul, l’Accord politique, ce qui l’a privé d’un avantage de taille, en l’occurrence, le travail collégial durant son mandat ».
Dans une déclaration faite à AA, Farouk a souligné que « la démission de Hamdok n’aura pas d’impact sur l’Etat, dans la mesure où il n’était pas au départ un chef qui évoluait en solo mais plutôt une personnalité qui était plus encline pour le travail collectif ».
La situation dans le pays évolue, selon notre interlocuteur, vers « davantage d’instabilité et la prochaine confrontation opposera de plein fouet le peuple aux militaires, qui sont conduits par al-Burhan ».
Si al-Burhan viendrait à réprimer frontalement les manifestations, le Soudan retournera au carré initial des sanctions internationales et de l’isolement », a-t-il encore estimé.
Toutefois, a-t-il poursuivi, « la probabilité du succès d’al-Burhan de réprimer et de venir à bout des protestations demeure faible, dès lors que le moteur essentiel de ces contestations sont les jeunes et ces derniers sont convaincus qu’il s’agit de leur avenir qui ne peut être que dans une patrie démocratique, ce qui rend leur défaite, pour le moment, quasiment impossible ».

** Un facteur important
Pour sa part, Youcef Hamad, un analyste politique soudanais, a estimé que « la démission de Hamdok n’aura pas un grand impact sur le paysage politique, dans la mesure où l’homme fait partie désormais du coup d’Etat du 25 octobre en signant l’Accord politique avec al-Burhan ».
Il a ajouté, dans une déclaration faite à AA, que « Hamdok a continué à représenter une couverture de la composante militaire face aux Mouvements de la Rue de même que face à la Communauté internationale qui soutient un pouvoir démocratique ».
Avec son départ, a-t-il dit, « Cette couverture n’existe plus et l’affrontement opposera désormais, directement et de manière frontale, le peuple aux militaires ».
Hamad prévoit, ainsi, « une recrudescence de l’escalade populaire face à al-Burhan et la répression, plus sanglante encore prévue par les militaires, compliquera davantage un paysage déjà délicat ».
Et notre interlocuteur d’ajouter : « L’équation du ‘peuple face aux militaires’ est dépourvue d’un facteur important, à savoir les forces politiques qui ont été diabolisées aussi bien par les militaires que par les sympathisants de l’Ancien régime (al-Bachir) ».
Cette diabolisation a ciblé, particulièrement « Les forces de Proclamation de la Liberté et du Changement qui doit agir pour créer un équilibre politique qui satisferait la volonté du peuple et qui garantirait la stabilité du pays », a-t-il conclu.

Ekip / Khartoum / Adel Abderrahim