Sur l’Ocean Viking, Peter Enyinnaya, à la recherche de Miracle

Sa femme était enceinte de trois mois, lorsque Peter Enyinnaya est tombé dans un guet-apens en Libye. A son retour d’une longue captivité, elle s’était évaporée, le croyant sûrement mort. Aujourd’hui aux portes de l’Europe, le Nigérian s’approche du but: retrouver sa famille.

Assis sur une cagette qui fait office de banc à bord du navire humanitaire Ocean Viking, qui l’a recueilli mardi en Méditerranée avec 46 autres migrants à la dérive, le gaillard, doigts enlacés et pouces qui se touchent, sait qu’il vient de faire un pas de plus vers sa femme et sa fille, dont il a retrouvé la trace: elles sont quelque part en Italie, en sécurité.

Où, exactement ? Il l’avait noté sur son téléphone avant de se résoudre à tenter sa chance sur une embarcation de fortune pour traverser cette mer, depuis une Libye qu’il maudit à chaque phrase. Mais le passeur qui l’a fait sauter dans un petit bateau bleu lui a, au passage, volé son portable.

Qu’importe, il les retrouvera, s’est promis Peter, 38 ans, le signe « dollar » accroché à une chaîne dorée qui tombe sur un T-shirt vert distribué par l’ONG SOS Méditerranée.

Tout a commencé en 2017, lorsque ce mécanicien, parti chercher la prospérité en Libye, se rendait au travail en taxi vers Sabha, à plus de 600 kilomètres au sud de Tripoli. « Je suis tombé dans un piège », confie-t-il à un journaliste de l’AFP embarqué à bord de l’Ocean Viking. « Des hommes déguisés en militaires ont arrêté le taxi, m’ont mis dans leur coffre et m’ont enfermé dans un immeuble avec quatre autres Africains. »

Là, il dit avoir subi « toutes les tortures possibles, les coups, la barre de fer, l’électricité… », énumère-t-il, tête baissée.

Le calvaire a duré neuf mois, durant lesquels deux de ses codétenus sont morts. Le prix de sa liberté avait été fixé à 27.000 dinars par ses tortionnaires, plus de 17.000 euros. Et comme il n’a pu leur donner que 5.000 dinars, tout ce qu’il avait, il a dû rester pour « leur servir de mécano », jusqu’à ce qu’un jour, on le jette au bord d’une route, « laissé pour mort ».

– « Fin du voyage » –

Après un séjour à l’hôpital, il s’est rendu compte que sa femme était partie, l’appartement reloué. Plus aucune trace.

« Elle devait penser que j’étais mort. Beaucoup de gens pensaient que j’étais mort », dit-il en haussant les épaules.

Des migrants à bord de l’Ocean Viking, le 30 juin 2020, au large de l’île italienne de Lampedusa

La retrouver, savoir à quoi ressemble son enfant, voilà son unique obsession depuis ce jour, explique Peter, en ouvrant un portefeuille, duquel il tire une photo de « la femme de (sa) vie », et une de lui, en chemise-cravate.

C’est finalement sur Facebook qu’ils se sont retrouvés: elle a fui en Italie et, sur le réseau social, Peter a pu voir des photos de sa fille de deux ans.

Mais la Méditerranée les séparait encore. Le mécanicien a donc repris du service et engrangé suffisamment d’argent pour se payer une place sur un bateau de fortune, en espérant atteindre l’Italie.

Alors quand il a vu l’Ocean Viking porter secours à son embarcation après trois jours et trois nuits en mer, il s’est dit que c’était « un miracle ».

Le bateau-ambulance, qui ne cesse de réclamer un port de débarquement à l’Italie et à Malte pour les 180 personnes secourues depuis jeudi dernier, n’avait toujours pas obtenu de réponse vendredi.

« Les retrouver, c’est mon vœu le plus cher. J’aurais pu mourir pour ça », poursuit-il.

Désormais, dit-il avec la prudence de celui qui a connu trop de désillusions, « ça ne devrait être qu’une question de temps ».

Une chose est sûre, pour Peter: « la fin du voyage » n’aura pas lieu avant qu’il ne rencontre enfin sa fille. Bien sûr, il n’a pas choisi son prénom, mais avoue volontiers qu’il n’aurait pas pu trouver plus à propos. Elle s’appelle Miracle.

Peter Enyinnaya sur le pont du bateau Ocean Viking, le 1er juillet 2020 après avoir été secouru en mer – AFP / Shahzad ABDUL